Saisir les mutations du travail contemporain au croisement de la sociologie du travail, de l'espace et des migrations

Abstract

Volume 1: "Saisir les mutations du travail contemporain: un itinéraire de recherche" Volume 2: "Bienvenu.e.s dans le Nord. Une sociologie de la nouvelle émigration espagnole dans le cœur logistique de l’Europe"

Ce volume présente la première phrase d’une recherche sur les travailleurs précaires (FlexWorkers) employés dans le secteur logistique aux Pays-Bas. Il est le produit de trois ans d’enquête (2017-2020) et repose sur plus de soixante entretiens approfondis avec des migrants espagnols venus aux Pays-Bas pour travailler pour l’entreprise Bol.com, une entreprise de vente en ligne similaire à Amazon. Il donne à voir le quotidien de ces travailleurs pris dans des migrations pendulaires, des migrations rendues possibles par l’évolution des législations européennes sur la libre circulation des travailleurs intra UE, la flexibilité accrue ouverte par les législations néerlandaises en droit du travail et par l’essor des métiers de plate-forme.

L’enquête rend compte avec minutie du système d’exploitation de la main-d’œuvre émigrée dans les entrepôts gigantesques issus des nouveaux modes de circulation des marchandises et d’une division internationale du travail qui a vu les emplois logistiques exploser en Europe (les biens commercialisés étant fabriqués essentiellement en Asie et les emplois analysés ici étant exclusivement tournés vers l’infrastructure de commercialisation et de vente en ligne).

L’enquête porte le regard sur ces migrations suspendues à une offre de travail ajustée en temps réel et qui plus est administrée par une intelligence artificielle (un logiciel nommé ISABEL gérant en temps réel les plannings et les contrats de travail au gré du volume d’activité). Le manuscrit rend compte à la fois du « régime de vulnérabilité et d’incertitude » qui gouverne la vie de ces travailleurs migrants espagnols (rendus mobiles par les contrecoups de la crise de 2008), de la dureté du travail et des tâches à effectuer au quotidien, de leurs modalités d’habitat (beaucoup de ces travailleurs vivant en camping), de leur exposition au racisme (et aux logiques de concurrence avec la main-d’œuvre polonaise notamment). L’enquête rend compte des effets croisés de la libre-circulation et du contrôle des stocks de travailleurs par des algorithmes (qui dépossède en partie les RH de leur pouvoir arbitraire sur les travailleurs car y compris les coach d’équipe appliquent avant tout les exigences du logiciel). Ces types d’emplois ne sont tenables en situation qu’à partir de subjectivités au travail spécifiques qui sont déjà marquées par la précarisation expérimentée en Espagne et dans les pays d’origine. Le manuscrit offre une description des subjectivités de ces travailleurs paradoxalement souvent qualifiés et diplômés mais affectés à des tâches quasi interchangeables. Il offre une analyse de la souffrance engendrée par des modes d’organisation économique au croisement de la sociologie des travailleurs de plate-forme économique et de la sociologie des migrations contemporaines.