Les traitements différenciés aux urgences : entre contraintes organisationnelles et pratiques discriminantes. Comment faire face au “dilemme des soignants” ?

Abstract

Symbole d’une mixité effective où se confrontent des populations différentes, les services d’urgence hospitaliers ont la particularité d’être ouverts 7j/7 et accessibles 24h/24. Ils représentent un milieu où se rencontrent deux types d’urgences (Peneff, 1992, 2000) - les urgences sociales et les urgences médicales - où les professionnels doivent jongler entre des “interventions de pointe” et des “soins de routine” (Vassy, 2004). Les services d’urgence, à la fois lieux de travail et lieux de soin, caractérisent un espace normé répondant à divers objectifs selon les types d’acteurs en présence (Belorgey, 2010). Lors d’un terrain ethnographique dans deux services d’urgences hospitaliers du nord de la France, je me suis interrogée sur les pratiques professionnelles et institutionnelles de tri des patients aux urgences. En sociologie de la santé, les traitements différenciés ont fait l’objet de multiples recherches mettant au jour tant le concept d’hospitalité dans l’admission des malades à l’hôpital (Dodier, Camus, 1997) que des inégalités de santé face au cancer (Loretti, 2017), des prises en charges discriminantes aux urgences face à un public Rom (Prud’homme, 2015), des discriminations selon l’origine dans l’accès aux soins (Carde, 2007), l’existence de filières d’accès aux soins d’urgence socialement différenciées (Morel, 2014) ou encore l’existence de pratiques cliniques racistes (Cognet, 2017). Aux urgences, la catégorisation des patients relève du principe même du fonctionnement du service. Quand ils arrivent, les patients font l’objet d’un tri réalisé par l’Infirmière d’Accueil et d’Orientation (IAO) qui doit déterminer, lors d’un échange très court avec le patient, le degré de gravité de son état de santé pour l’orienter ensuite vers différentes filières de soins. En suivant l’IAO lors de la mise en place d’une nouvelle filière de soins aux urgences visant à fluidifier la prise en charge des patients ne nécessitant pas d’hospitalisation et ainsi réduire le temps d’attente aux urgences ; j’ai été amenée à prendre toute la mesure de ce que l’on nomme le “dilemme des soignants” (Morel, 2014 ; Vassy, 2000). Prises entre des contraintes organisationnelles, des injonctions managériales et leur propre “éthique du soin”, ces infirmières utilisent d’autres critères que le simple référentiel médical (Emergency Severity Index) et participent ainsi aux processus de catégorisation, de hiérarchisation voire de stigmatisation à l’œuvre aux urgences. En somme, il s’agira à travers cette communication de montrer que les services d’urgences, à travers leur organisation et les pratiques des soignants, fabriquent des inégalités dans la prise en charge des “urgences”.

BELORGEY N., L'hôpital sous pression. Enquête sur le “nouveau management public”, Paris, La Découverte, 2010. CARDE E., « Les discriminations selon l'origine dans l'accès aux soins », Santé Publique, 2007/2 (Vol. 19), p. 99-109. COGNET M., Du traitement différentiel à la discrimination raciste dans les pratiques cliniques, Les cahiers de la LCD, 2017. DODIER N., CAMUS A., “L'hospitalité de l'hôpital”, Communications, 65, 1997, p.109-119 MOREL S., “De transporteurs à soigneurs ? Vers une segmentation du travail des ambulanciers privés français”, Sociologie du travail, 2018/1, vol. 60 ; MOREL S, « La fabrique médicale des inégalités sociales dans l’accès aux soins d’urgence. Ethnographie comparée de deux services d’urgence public et privé », Agone, 2016/1 (n° 58), p. 73-88 MOREL S., L’urgence à plusieurs « vitesses » : fracture territoriale et inégalité sociale dans l’accès aux soins d’urgence, Thèse de doctorat en Sociologie, sous la direction de REITIERE J-N., soutenue le 11/12/2014, Université de Nantes. LORETTI A., Les inégalités sociales face au cancer dans le Nord-Pas de Calais Thèse de doctorat en Sociologie, sous la direction de DECHAMP-LEROUX C. et CASTRA M., soutenue le 12/12/2017, Université de Lille. PENEFF J., L'Hôpital en urgence. Editions Métailié, « Leçons De Choses », 1992 PENEFF J., Les Malades des urgences. Une forme de consommation médicale. Editions Métailié, « Sciences Humaines », 2000. PRUD’HOMME D., La racialisation en urgence: représentations et pratiques des professionnels hospitaliers à l’égard des patients présumés roms, Thèse de doctorat en sciences politiques, sous la direction de DELOYE Y., soutenue le 08/12/2015, Université de Bordeaux. VASSY C., « L’organisation des services d’urgence, entre le social et le sanitaire », Mouvements, 2004/2, 32, p.67-74 VASSY C., « Vraies et fausses urgences : comment trier les usagers ? » in CRESSON G., SCHWEYER F-X. (dir.), Les usagers du système de soin, Rennes, Ed. ENSP, 2000, p.193-212.