L'estuaire hypertidal de Santa Cruz - Chico River (Sud Patagonie, Argentine) : un environnement soumis à des forçages hydrodynamiques et sédimentaires exceptionnels

Abstract

Peu de sites côtiers sont soumis à des régimes de marée dits "hypertidaux", c'est-à-dire avec des marnages supérieurs à 8 m. Il faut en effet une combinaison de facteurs à la fois morphologiques et hydrodynamiques permettant une amplification importante de l'onde de marée, en particulier de sa composante principale M2. Les systèmes hypertidaux se rencontrent principalement dans l'Hémisphère nord, là où les plateformes continentales sont les plus développées. Dans l'hémisphère sud, les marées atteignent un marnage hypertidal à deux endroits seulement, au nord de l'Australie, et le long des côtes du sud de la Patagonie en Argentine. A cet endroit, le développement de la plateforme continentale permet une forte amplification, avec des marnages qui atteignent 12 m à l'entrée des estuaires qui jalonnent les côtes de la province de Santa Cruz.C'est le cas de l'estuaire du Santa Cruz - Rio Chico (Le SC-RC) situé à environ 350 km au nord du Détroit de Magellan, en limite nord du Bassin Austral. Cet estuaire de type ria est bordé de falaises, de quelques dizaines de mètres, entaillées dans des grès fins peu cimentés du Miocène, eux-mêmes surmontés par les formations fluviatiles plio-quaternaires des "rodados patagonicos". Il est formé à la confluence entre les rivières andines Santa Cruz et Rio Chico, située à 28 km de l'embouchure. La Santa Cruz est la rivière la plus importante de Patagonie, avec un débit annuel de 750 m3.s-1. Le Rio Chico a un débit moyen annuel de 25 m3.s-1 seulement ; elle est cependant l'affluent le plus important de la Santa Cruz. Le marnage est de l'ordre de 12 m juste en amont de l'embouchure, et encore de 8 m à la confluence. Les courants de marée engendrés sont puissants avec une dominance du flot entre l'embouchure et la confluence. Dans la Santa Cruz, en raison des forts débits de la rivière, le flot n'est actif que sur quelques kilomètres en amont de la confluence ; il n'y a pas d'inversion des courants au-delà. Dans le Rio Chico, le flot se propage sur une 30 km en amont de la confluence. Les houles atlantiques provoquent une érosion active des falaises et la construction de flèches à galets et crêtes de plages à l'embouchure de l'estuaire. A l'intérieur de ce dernier, les très forts vents d'W et SW qui soufflent quasiment en permanence dans cette région de la Patagonie, forment une houle d'amplitude métrique.Nos travaux sur cet estuaire ont pour objectif de définir comment fonctionne et évolue un estuaire hypertidal dans un environnement subdésertique traversé par des rivières proglaciaires à débit saisonnier contrasté. Nous présentons ici les résultats préliminaires de l'étude morphosédimentaire des environnements inter- et supratidaux de l'estuaire, ainsi qu'une prospection sismique du domaine subtidal. Les données recueillies montrent que : l'estuaire est composite, assimilable à un estuaire « dominée par la houle », avec un bassin central entre l'embouchure et la confluence et un delta de baie formé par la Santa Cruz, tandis qu'à l'amont de la confluence le Rio Chico constitue à lui seul un estuaire « dominé par la marée ». Le contexte géologique en uplift, les apports massifs en galets et sable par la rivière Santa Cruz érodant l'encaissant miocène et les « rodados », l'agitation très importante provoquée par les forts vents constants, ajoutés à la puissante dynamique tidale, confèrent à cet estuaire de fortes singularités. On peut noter en particulier sur les rives estuariennes (i) un continuum de flèches à galets étagées depuis le segment fluviatile jusqu'à la côte et (ii) une apparente absence de faune et de bioturbation dans les estrans boueux situés en contrebas. Dans la partie subtidale, le système est caractérisé par (iii) la prédominance d'une surface de ravinement chenalisée dans le substratum entre des complexes de barres et grandes dunes graveleuses, flot dominées dans le bassin central.